Les protagonistes : Isabelle comédienne et interprète de la lecture et un journaliste.
 
Le Journaliste :
 Isabelle, après des représentations données en 2007 et en 2008 dans une salle de spectacle et dans une bibliothèque vous allez reprendre la lecture "Lettres de Westerbork" réalisée à partir de la correspondance d'Etty Hillesum. On parle beaucoup de cette jeune femme dont le journal et la correspondance ont été publiés à la fin de 1981 au Pays Bas. La présentation du volume dont a été adaptée la lecture que présente la Compagnie de Zaza est parue en 1995 dans une traduction de Philippe NOBLE. L'intégralité de tous ses écrits est enfin sortie en France il y a peu de temps sous le titre "Les écrits d'Etty Hillesum journaux et lettres 1941 1943" aux Editions du Seuil. Vous même comment avez-vous découvert Etty Hillesum ?

Isabelle :
J'ai découvert le journal et les lettres d'Etty en 1997 quand un cousin m'a offert le volume "Une vie bouleversée" dans sa présentation de 1995.

Le journaliste :
Quelle impression la lecture de ce journal à-t-elle laissée sur vous ? Avez-vous tout de suite eu l'idée d'en faire une lecture ?

Isabelle :

Cela va peut-être vous surprendre mais ma première impression a été une impression de douleur. Comme le dit Sylvie GERMAIN dans l'ouvrage qu'elle lui a consacré, Etty par l'écriture était partie en recherche, en défense d'un territoire qui n'était autre qu'elle même. Une conquête intérieure est un long travail de connaissance de soi qui a toujours quelque chose de douloureux. Peut-être craignais-je de souffrir en la lisant et je n'ai que parcouru son journal dans un premier temps. Puis  tout doucement l'idée de porter à la scène pour le partager son bouleversant et saisissant témoignage sur Westerbork a fait son chemin. J'ai lu alors son journal entièrement sans rien esquiver pour faire connaissance avec Etty à travers ce qu'elle a vécu et qu'elle raconte. C'est bien tout ce cheminement intérieur, cette quête, cette exploration dans les profondeurs d'elle-même qui lui apportent cette force, cette foi en la vie et ce courage pour aller au devant des événements qui bouleversent son existence et le monde dans lequel elle vit et pour partager  avec détermination  le destin et le sort du peuple juif auquel elle appartient. Elle acquiert une sérénité une solidité peu commune et une maturité rare pour une jeune femme de sa génération.
 
Le Journaliste :
Ce travail sur elle-même dont on suit la progression dans son journal, Etty le fait avec Julius Spier qui s'était installé comme psychologue à Amsterdam.

Isabelle :
C'est une rencontre capitale pour Etty. Elle deviendra sa cliente, puis son élève, sa secrétaire et son ami de coeur. De lui elle dit : "Il a assigné leur juste place aux choses qui étaient en moi." Et après la mort de Spier dans un émouvant adieu, elle lui dit : "Tu as libéré en moi ces forces dont je dispose". C'est en rencontrant Spier que lui viendra l'idée d'écrire son journal.
 
Le Journaliste :
Elle dit aussi à Spier : "Tu m'as appris à prononcer sans honte le nom de Dieu, tu as servi de médiateur entre Dieu et moi et mon chemin mène désormais directement à Dieu. Je servirai moi-même de médiatrice pour tous ceux que je pourrai atteindre." 
 
Isabelle :
 Oui Spier a eu une profonde influence sur Etty en matière religieuse. Il avait une sensibilité plutôt chrétienne et c'est dans cet esprit qu'il lui fit relire la bible et lui fit connaître saint Augustin. La famille d'Etty ne pratiquait pas la religion mais n'avait pas coupé les ponts avec la tradition juive plus par souci d'identité culturelle que par conviction. Etudiante, Etty ne donnait pas l'impression d'évoluer dans un milieu spécifiquement juif. Ses amis étaient plutôt des intellectuels de gauche opposés au fascisme. C'est plus tard sans doute aidée par Spier qu'elle développera une foi très personnelle en marge de toute religion établie et teintée de mysticisme. Cette foi en Dieu l'accompagnera et lui donnera la force et le courage de vivre et d'affronter toutes les épreuves qui furent celles des dernières années de sa vie. Elle lui fera toujours voir de la vie, de l'espoir, de la joie là où il ne semble plus y en avoir.
 
Le Journaliste :
Que gardez-vous de cette rencontre avec Etty en tant que lectrice ?

Isabelle :

  Sa tonicité, son optimisme à toute épreuve. Sa lucidité, son objectivité, son courage aussi. Je trouve cela fortifiant et dynamisant. J'ai aussi beaucoup d'admiration. Elle a soulevé chez moi moi des questions, des réflexions. Par exemple au niveau de sa foi. A sa place je ne sais pas si je serais arrivée à dire comme elle : "Et si Dieu cesse de m'aider, ce sera à moi d'aider Dieu." Je crois que devant tant d'horreur, j'aurais eu envie de penser à Dieu comme une force puissante, solide et pleine d'amour, secourable qui vient en aide parce qu'elle est au-dessus de toutes ces horreurs et qu'elle peut y mettre fin avec sa volonté. Peut-être aurais-je eu envie de dire : "Mais si Dieu existe qu'est-ce qu'il fait ?"
 
Le journaliste :
Croyez-vous en Dieu Isabelle ?

Isabelle :

Je crois plutôt en l'homme, en la vie, bien qu'ayant reçu une éducation catholique. Je suis très rationnelle et si Dieu existe je cherche encore comment ?  Où en trouver des manifestations. C'est très exigeant et douloureux de croire. Il faut être solide dans ses convictions pour vivre et sentir ce que l'on croit le transmettre, le partager. Il faut je crois aussi aimer le mystère. Ne pas vouloir tout expliquer, tout comprendre, tout prouver. c'est courageux, c'est difficile. Est-ce que je suis prête ?

Le journaliste :
Pour composer votre lecture vous avez choisi parmi toutes celles qu'elle a écrites à Westerbork une dizaine de lettres d'Etty et quelques extraits de son journal l'ensemble étant introduit par un texte de liaison écrit par Jean-François MOULIN votre Metteur en scène. Qu'est-ce qui vous a guidée dans votre choix ?


Isabelle :
L'envie d'offrir au public auquel j'allais m'adresser un témoignage sur Westerbork unique en son genre parce que venant d'Etty, de ce qu'elle a vécu avec son coeur, sa force, son engagement dans la mission qui lui est confiée et qu'elle a choisie, qu'elle assume complètement en allant jusqu'au bout. Et puis Westerbork pour tant de gens c'est un symbole lointain, pour d'autres une blessure jamais fermée, jamais effacée. Le témoignage d'Etty comme tant d'autres nous permet à nous gens du XXIème siècle de nous rappeler cette réalité historique, dramatique dont nous ne pouvons faire l'impasse si l'on veut oeuvrer ensemble pour une quête de vérité et de sens nécessaire à la compréhension de notre monde actuel si complexe et si passionnant. J'aime à me rappeler cette citation de Jacques Derrida : "La mémoire c'est un autre nom de l'avenir".


Le journaliste :
Dans ce que vous avez découvert de Westerbork à travers les lettres d'Etty, qu'est-ce qui personnellement vous a frappée, touchée ?

Isabelle : 
Dans ce camp malgré toutes les horreurs qui s'y passent, malgré les choses impensables dont Etty est témoin la vie reste présente à travers tout ce qui est encore accessible à ceux qui y résident. Les gens s'y croisent, se retrouvent, font connaissance, tissent des liens, se soutiennent. Comme dit Etty loin de leurs bases anciennes des forces nouvelles se lèvent en eux et leur permettent de continuer à vivre. Il y a la pluie, le froid, les baraques qui s'étendent, la lande qui rétrécit, la boue, les trains qui arrivent, qui partent, la peur de faire partie du prochain convoi. Mais il y a aussi le soleil, les Lupins violets,  un gendarme qui compose un bouquet pour l'offrir sans doute à sa dulcinée, l'espoir d'une permission. Il y a encore de la place pour la chaleur, la convivialité, l'humour même. Ca aussi ça permet de continuer à vivre. C'est un monde plein de paradoxes en commençant par Etty elle-même et ses amis dont elle partage le sort comme cet homme qui doit partir lors du prochain convoi pour l'Est et qui lui dit
: "Si je survis à cette époque j'en sortirai plus mûr et plus profond et si je disparais je serai mort en homme plus mûr et plus profond". Ces gens à qui on a tout retiré, à qui il ne reste plus que l'essentiel pour encore exister en tant qu'eux même trouvent la force de développer des qualités dont ils n'avaient pas conscience, dont ils n'auraient pas imaginé être capables. Quelle leçon de vie ils nous donnent !


Le Journaliste :
Je rappelle pour les lecteurs de votre Blog les principaux livres parus concernant Etty HILLESUM
- "Les écrits d'Etty Hillesum journaux et lettres 1941-1943 édition intégrale" E
ditions du Seuil
- Etty HILLESUM "Une vie bouleversée suivie de lettres de Westerbork" Editions du Seuil 1995
- Ingmar GRANDSTED "Portrait d'Etty Hillesum"  Editions Desclée De Brower (2001)
- Sylvie GERMAIN "Etty Hillesum" Editions Pygmalion/Gérard Watelet (1999)
- Pascal DREYER "Etty Hillesum une voix bouleversante" Editions Desclée De Brower (1997)
- C. JULIET, D. STERCKX et C. VIGEE "Etty Hillesum histoire de la fille qui ne voulait pas s'agenouiller
" Editions Arfuyen
 


 




 

 

 

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